Quel impact de la crise du Covid-19 sur les entrepreneurs de Réseau Entreprendre Paris ?

La pandémie du Covid-19 amène Réseau Entreprendre® à renouer avec le contexte de crise, terreau de sa naissance. C’est en effet dans le nord de la France dévasté par la crise du textile et le chômage que démarrent les balbutiements de l’initiative, en 1985. Un collectif de chefs d’entreprise se donne alors pour mission de dynamiser le territoire, partageant leurs savoir-faire d’entrepreneurs, au service de la création d’emplois. L’impulsion est nouvelle et audacieuse. 
La situation actuelle est un triste retour aux sources qui réaffirme une nouvelle fois la mission d’un mouvement de 14 000 chefs d’entreprise : “Pour créer des emplois, nous devons créer des employeurs”.

 

« Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin d’entrepreneurs conscients, exigeants, humanistes & performants pour reconstruire notre économie. L’esprit d’entreprendre est un ingrédient indispensable pour une société durable et plus inclusive à laquelle nous croyons. » – Armelle Weisman, Présidente de Réseau Entreprendre Paris

 

Réseau Entreprendre Paris face à la crise 

Les 135 entreprises en cours d’accompagnement ont bénéficié, dès les premières manifestations de la crise, d’un soutien appuyé de la part de la communauté. Une réponse en 3 volets : 

  • Comprendre : en apportant un contenu de qualité, rigoureusement sélectionné. Une newsletter quotidienne “flash” décortique les dispositifs publics et les initiatives privées face à la crise. 
  • Gérer : en favorisant les échanges entre pairs. Clubs, hotlines, webinaires, ont lieu toutes les semaines pour aider les entrepreneurs à grandir dans leur métier de dirigeant face à la crise. L’association s’attèle également à réunir les membres accompagnateurs pour qu’ils développent les bons réflexes face aux lauréats en difficulté. 
  • Rebondir : en aidant les entrepreneurs à mesurer l’impact de la crise et à développer leur activité sur des bases durables. Réseau Entreprendre Paris joue ainsi un rôle de mise en avant et de catalyseur d’initiatives qui construisent une économie pérenne.  

Pourquoi cette étude ? 

Chez Réseau Entreprendre Paris, nous recevons et rencontrons chaque année plus de 1000 entrepreneurs candidats à l’accompagnement. Nous échangeons avec une communauté de 550 entreprises lauréates et avec 400 membres accompagnateurs. Ce point de vue imprenable sur l’entrepreneuriat parisien nous associe parfois à une “tour de contrôle” de cet écosystème. Par cette étude, nous avons cherché à qualifier l’impact de la crise sur les entrepreneurs du Réseau. Nous partagerons d’abord les résultats d’une étude réalisée auprès des adhérents et des lauréats (1) avant d’élargir la réflexion au sujet du financement (2). Ce travail n’a pas pour vocation d’exhaustivité : il synthétise des témoignages et des retours reçus au sein de notre communauté. Bonne lecture !

 

1. Impact de la crise sur les entrepreneurs de la communauté 

Une enquête réalisée en avril 2020 a permis de sonder l’état d’esprit des adhérents et lauréats de Réseau Entreprendre Paris. 200 entrepreneurs y ont répondu favorablement. 

🙋 Qui sont-ils ? 

Les lauréats de Réseau Entreprendre Paris sont les entrepreneurs actuellement accompagnés dans le cadre de l’un des programmes “Start” (amorçage) et “Ambition” (développement). Leurs entreprises comptent en général 12 ETP pour 1 million d’euros de chiffre d’affaires. 86% des sociétés accompagnées depuis la création de l’association parisienne en 2004 sont encore en vie.  

Les adhérents de Réseau Entreprendre Paris sont les chefs d’entreprise impliqués bénévolement pour transmettre leur expérience. Ces “accompagnateurs” sont à 85% des entrepreneurs et à 15% des dirigeants. 95% sont en activité. Leurs entreprises comptent en moyenne 60 ETP pour 5 millions d’euros de chiffre d’affaires. Près d’un accompagnateur sur deux a été auparavant lauréat de l’association.

📈 Quel degré d’impact du Covid ? 

Pour la majorité, l’impact du Covid est “moyen (48% chez les accompagnateurs, 56% chez les lauréats). Il se traduit par un ralentissement commercial et par une fermeture des sites de travail. L’impact du Covid est jugéfort” chez 40% des accompagnateurs et 32% des lauréats. Principalement ceux qui affrontent des secteurs en chute libre, une situation financière fragile ou une faible digitalisation de leur activité.  

Dans tous les cas, le premier enjeu associé à la crise du Covid-19 est l’humain. Beaucoup d’entrepreneurs témoignent des efforts redoublés pour animer, rassurer et réorganiser les équipes. Benoît Tesson, co-fondateur de Vertone et administrateur de Réseau Entreprendre Paris perçoit la situation de la sorte : « Être le réceptacle des peurs et inquiétudes, tout en restant engagé pour créer une dynamique positive et que nous aussi nous soyons collectivement des agents moteurs : difficile rôle du dirigeant en temps de crise…. C’est un peu la quadrature du cercle. »

🤷 Que faire ? 

Hors recours aux dispositifs du gouvernement, 20% des accompagnateurs et 30 % des lauréats avaient moins de 3 mois de trésorerie en avril 2020. Ils ont donc largement eu recours au chômage partiel (en moyenne 75% d’entre eux) et au report des échéances fiscales et sociales (72% d’entre eux). Le PGE (Prêt Garanti par l’Etat) a également été largement sollicité par les lauréats (pour 75% d’entre eux) et par les membres (60%). 

Au regard de ces leviers, nous sommes relativement confiants quant à la pérennité à court terme des entreprises de la communauté. Peu nombreux sont les drapeaux rouges à l’heure où nous écrivons ces lignes. La véritable solidité des entreprises ne se verra qu’à moyen et à long terme – horizon où l’incertitude reste forte.   

👀 Quel état d’esprit ? 

Ce sondage donne à voir un niveau d’optimisme élevé chez les entrepreneurs de Réseau Entreprendre Paris : en moyenne 60% vis-à-vis de la période que nous traversons et 50% vis-à-vis de la reprise. Ceci s’explique par le fait que la majorité d’entre eux est ancrée dans l’économie réelle, répondant à des besoins clairs avec des perspectives de rentabilité identifiées. S’ils sont les premiers touchés par la crise et le confinement, ils sont également les premiers à bénéficier de la mobilisation citoyenne et des dispositifs de soutien.  

Fusion, rachats, pivots, adaptations : le « monde d’après » aiguise la créativité des plus agiles. Même si les conséquences à court terme sont négatives, la crise est l’occasion d’étendre ses parts de marché à moyen et long terme lorsque le secteur est porteur ou que l’entreprise est agile pour adapter son modèle. 

A noter toutefois, un moindre optimisme chez les adhérents que chez les lauréats. Les premiers misent sur une récession, à -15% de leur activité entre 2019 et 2020. Les seconds ont maintenu des perspectives de croissance, à +15%. Écart qui peut s’expliquer par le fait que beaucoup d’adhérents ont déjà connu des crises économiques : leur expérience et leur lucidité modèrent leur enthousiasme. 

🙌 En résumé

Peu de surprises se dégagent de cette étude – ce qui est plutôt rassurant dans un tel contexte. La majorité des entrepreneurs semblent pour le moment capables d’encaisser la crise : psychologiquement, d’abord, en y voyant de nouvelles opportunités ; économiquement, ensuite, en sollicitant toutes les parties prenantes 

Cependant, la véritable incertitude porte sur les prochains mois et les prochaines années. Psychologiquement, d’abord, les entrepreneurs vont avoir besoin de soutien pour faire face à une reprise qui s’annonce âpre. Le rôle des accompagnateurs, mentors et réseaux sera crucial. Économiquement, ensuite, la fin des principaux dispositifs de soutien (chômage partiel, report de charges) va éprouver la trésorerie des entreprises et nécessiter le recours à de nouvelles solutions de financement. 

Pour prolonger la réflexion, il nous est apparu important de sonder l’écosystème du financement (business angels, fonds d’investissement, banques). 


 2. Évolution des financements  

2019 avait été l’année de tous les records pour les levées de fonds des start-up françaises avec 4 milliards d’euros de fonds propres réunis. 2020 était parti pour exploser à nouveau les compteurs avec 680 millions d’euros annoncés dès janvier. La crise du COVID-19 sera bien évidemment synonyme de ralentissement brusque et sans doute durable dans l’accès aux financements des start-ups qu’ils soient dilutifs (via les business angels ou fonds d’investissement) ou non dilutifs (via notamment les banques). 

 

👼 Les Business Angels : vers un arbitrage en défaveur des start-ups ? 

Une bonne nouvelle pour commencer : oui les business angels vont continuer à investir. Dans une étude AngelSquare publiée fin mars 2020, nous apprenons que plus de 96% des business angels interrogés ont l’intention de continuer à investir dans les start-up dans les mois à venir.  

Néanmoins, ils sont cependant près de 60% à vouloir réduire ce type d’investissements ou à ne se concentrer qu’exclusivement sur leur portefeuille déjà constitué. Un arbitrage orienté vers des opportunités jugées meilleures du côté de la bourse, du marché obligataire ou un repli vers la pierre comme valeur refuge risquent de se faire au détriment des investissements en start-ups. Le nombre d’investissements des business angels, les montants investis, ainsi que les valorisations seront très probablement revus à la baisse. 

💧 Les fonds d’investissement : vers un retour au compte-goutte de nouveaux investissements ? 

Le comportement habituel des fonds d’investissement en temps de crise – Le capital-risque étant par nature une activité cyclique, il est intéressant de regarder ce qui a pu se passer lors de crises précédentes comme la bulle Internet au début des années 2000 ou la crise des subprimes en 2008. Dans le schéma classique du capital-risque, chaque tour de table significatif est mené par un nouveau fonds entrant au capital, pendant que les actionnaires historiques se joignent également au tour pour ne pas se faire diluer.  

En période de crise, les fonds se montrent moins offensifs, avec pendant plusieurs mois beaucoup moins d’importantes levées réalisées par des fonds externes. Moins de levées “externes” implique plus de cash injecté par le ou les fonds historiques pour financer le développement de leurs entreprises en portefeuille, et donc encore moins d’argent disponible pour des levées externes. C’est un scénario que l’on pourrait très certainement connaître dans les mois qui viennent, ce qui entrainerait moins de nouveaux tours de levées de fonds et des montants d’investissements moins élevés.  

Même si les fonds continuent à regarder de nouveaux dossiers, la machine sera ralentie – Pour autant, les fonds n’arrêtent pas de nourrir leur dealflow et d’envisager de nouveaux investissements. D’après une étude réalisée par le leveur Chausson Finance (Baromètre VC-19, mars 2020), 77% des fonds souhaitaient dès fin mars continuer à recevoir de nouveaux dossiers. Mais voici différentes raisons qui expliqueront que la machine a des chances d’être ralentie pour de longs mois : 

  • Les ressources humaines internes des fonds orientées vers le soutien aux entreprises en portefeuille seront moins disponibles pour faire avancer les analyses de nouveaux projets 
  • Le fonds misant avant tout sur des hommes et des femmes entrepreneurs, les rendez-vous à distance par visio-conférence montreront rapidement leurs limites. Pour avancer, les équipes devront se rencontrer physiquement à de multiples reprises. Les mesures sanitaires à prendre pour réorganiser ces types de rencontres ralentiront certainement les process. 
  • Les analyses de dossiers les plus avancées seront à reprendre de zéro avec la nécessité de mettre à jour en profondeur les prévisionnels réalisés pré-crise. 
  • Les négociations autour des valorisations seront sans doute plus complexes et plus longues qu’avant la crise. 
  • Les moindres signes d’une deuxième vague significative de contamination et le spectre d’un retour au confinement stopperaient probablement net les projets de nouveaux investissements.

💵 Les banques : une situation bien différente de celle de 2008 

Dans un contexte de crise, deux grands risques pèsent sur le système bancaire : 

  • Le manque de liquidités lié au non-remboursements des emprunts des entreprises et particuliers en difficulté 
  • L’insolvabilité c’est à dire, le risque de faillite des établissements bancaires 

Dans le cadre de la crise du Covid-19, les spécialistes que nous avons interrogés sont relativement sereins vis-à-vis de la solidité du système bancaire. Selon eux, ces deux grands risques ne sont pas d’actualité à ce stade grâce aux coussins de sécurité mis en place au sein des banques après la crise de 2008 pour assurer un niveau minimum de fonds propres. Les banques sont d’ailleurs très actives depuis le début de la crise avec la mise en place du Prêt Garanti par l’Etat, à la disposition des entreprises au moins jusqu’à la fin de l’année. 

Cependant, deux facteurs encore inconnus pourraient fermer le robinet du crédit aux entreprises (hors PGE) : 

  • Une reprise trop lente 
  • Une politique interne des banques court-termiste moins tournée vers le soutien aux entreprises et à l’économie réelle 

Dans tous les cas, une frilosité supérieure à la normale des banques est à prévoir dans les mois à venir avec probablement plus de refus de prêts, des montants prêtés moins importants et des conditions plus dures. Plus que jamais, la capacité de remboursement sera analysée de très près dans les dossiers. 

👥 Quelles entreprises seront privilégiées par les banques et les investisseurs ? 

Pour maximiser leurs chances d’obtenir un financement, les entrepreneurs devront prendre en compte les impacts de la crise de façon réaliste dans leurs dossiers transmis à leurs partenaires. La crise constitue également une opportunité pour certains investisseurs qui s’intéresseront plus particulièrement : 

  • Aux entreprises proposant des innovations technologiques fortes qui ne chercheront de toute façon pas à réaliser du chiffre d’affaires à très court terme 
  • Aux entrepreneurs les plus pragmatiques qui arriveront à adapter leur offre pour résister et ressortir plus forts de la crise 
  • Aux offres contracycliques (digitalisation, télétravail, livraisons…) 

Dans tous les cas, cette crise souligne bien l’importance de voir ses investisseurs (actuels ou potentiels) ainsi que son banquier comme de véritables partenaires et d’entretenir de bonnes relations régulières avec eux lorsque la situation est favorable. Cela permet lorsque le contexte se dégrade, d’avoir des discussions plus bienveillantes et un soutien de leur part plus rapide et marqué que les autres. 


💥 Conclusions

Ces 2 mois de confinement ont mis “en pause” la plupart des entreprises de la communauté, réduisant, à ce stade, l’impact de la crise. S’ouvre désormais un temps de reconstruction et de mobilisation pour préserver un maximum d’emplois. Le rôle de Réseau Entreprendre sera de premier plan dans ce combat, avec comme principales armes les relocalisations, la digitalisation et la flexibilité du monde du travail. 

Au-delà des créations d’emplois, on peut s’interroger sur l’évolution des créations d’entreprises dans la période qui s’ouvre. Au dernier trimestre 2019, la France enregistrait plus de 200 000 immatriculations – 20% de croissance par rapport à la même période en 2018 (chiffres BPI France). Démarré en 2017, ce dynamisme ne semblait pas connaître de fléchissement. Qu’envisager pour l’année qui s’ouvre ? Dans un premier temps, la crise pourrait mettre un coup d’arrêt à la création d’entreprise la priorité étant donnée par les salariés à leur emploi. Les entrepreneurs « en devenir » reporteraient leur projet de création, ce qu’indiquent les chiffres de création d’entreprise de l’Insee pour mars 2020, en baisse de 25%. Dans un second temps, la crise pourrait booster la création d’entreprises – comme dans la période 2007-2011, pourtant marquée par la crise de 2008. La crise dissuaderait les entreprises de recruter, poussant une partie des chômeurs à créer leur propre structure. Des entreprises comme Criteo, Airbnb ou Whatsapp avaient été créées aux Etats-Unis juste après la crise de 2008. L’évolution d’un scénario à l’autre reposera sur les politiques fiscales et sociales en faveur des entrepreneurs et sur l’engagement de l’ensemble des parties prenantes à leurs côtés. 

 

⏩ À retenir 

  • Le paysage entrepreneurial devrait se transformer dans les prochains mois. D’un côté, par la faillite prévisible de nombre de TPE, aux modèles insuffisamment aboutis, aux fondamentaux fragiles. De l’autre, par la consolidation de certains secteurs autour d’acteurs bien financés qui profiteront des valorisations baissières.  
  • Après une période faste et des méga-levées de fonds basées sur des valorisations atteignant des sommets, le financement des entrepreneurs va renouer avec le pragmatisme et la prudence, en cohérence avec les performances réelles des entreprises.  
  • Les entrepreneurs ne doivent pas minimiser les impacts de la crise dans les dossiers qu’ils montent pour obtenir des financements. Au contraire, se montrer prêt à parer à toutes les éventualités rassurera les partenaires financiers.
  • La création d’entreprises en France, après avoir chuté au mois, pourrait redémarrer à la faveur de dispositifs publics favorables aux entrepreneurs, qui pousseraient une partie des chômeurs à créer leur propre structure.