Suite Ă la crise du Covid-19, RĂ©seau Entreprendre Paris analyse diffĂ©rentes Ă©volutions qui devraient voir le jour. A travers nos articles « 🔎 A la loupe », nous vous offrons une vision de l’après, fondĂ©e sur les enjeux de nos entrepreneurs, leur rĂ©alitĂ© du quotidien et de l’Ă©cosystème entrepreneurial dont le RĂ©seau est partie intĂ©grante.
« Il faut renforcer notre souverainetĂ© sur des chaĂ®nes de valeurs qui sont stratĂ©giques et donc rĂ©duire notre dĂ©pendance vis-Ă -vis d’un certain nombre de grandes puissances » a dĂ©clarĂ© Bruno Le Maire le 9 mars 2020. Entre 1970 et aujourd’hui, prĂŞt de 50% de la production française a Ă©tĂ© dĂ©localisĂ©e Ă l’étranger. Derrière la relocalisation, se cache un enjeu fort d’autonomie ; comme l’illustre une Ă©tude du think tank Utopies, la capacitĂ© productive actuelle des villes françaises serait de 3% en moyenne. La France a perdu sa souverainetĂ© des industries pharmaceutiques et automobiles, comme l’illustre la crise actuelle. Mais relocaliser peut-il se faire si simplement ? Quels impacts cela gĂ©nère-t-il alors que la Chine concentre près de 30% de la production manufacturière mondiale et est le 2ème fournisseur de la France ? Comment cette relocalisation peut-elle se faire alors que les savoir-faire de filières entières ont disparu ?Â
OpportunitĂ©s Ă relocaliserÂ
La relocalisation des productions en France prĂ©sente de nombreuses opportunitĂ©s Ă©conomiques, sociales, environnementales et gĂ©opolitiques. La première Ă©tant la crĂ©ation d’emplois qualifiĂ©s, accompagnĂ©e d’une relocalisation des savoir-faire et compĂ©tences. Les coĂ»ts faibles de main d’œuvre recherchĂ©s lors d’une dĂ©localisation sont aujourd’hui Ă relativiser : ils ne prennent pas en compte la formation, ni la qualification du salariĂ©. En relocalisant, une entreprise peut ainsi disposer de nombreux dispositifs lui permettant d’avoir accès Ă une main d’œuvre plus qualifiĂ©e et contribuer Ă faire diminuer le niveau de chĂ´mage en France. Autre opportunitĂ© Ă©conomique de produire diffĂ©remment, les intentions de consommation des citoyens, qui souhaitent voir les industries relocalisĂ©es après la crise afin de sĂ©curiser la production. Ainsi, 93% des français souhaitent que l’issue de la crise soit accompagnĂ©e d’une autonomie agricole et 92% que les entreprises industrielles soient relocalisĂ©es.Â
Par ailleurs, dès lors qu’une compĂ©tence critique est concentrĂ©e dans un pays, nous sommes Ă la merci d’une crise Ă©conomique, gĂ©opolitique ou catastrophe naturelle. La crise du Covid-19 attire notre attention sur la fragilitĂ© de certaines de nos chaĂ®nes de valeurs et d’approvisionnements, sur lesquelles nous n’avons que peu de visibilitĂ©. Une meilleure connaissance de l’origine de nos ressources permettrait « de mettre en place des actions de relocalisation de certaines productions et des renforcements de filières, en lien direct avec la demande rĂ©elle des entreprises ». Ainsi, la relocalisation d’une partie des productions critiques, telles que les mĂ©dicaments ou les masques, permettrait d’assurer un approvisionnement sĂ©curisĂ© des produits essentiels Ă la sĂ©curitĂ© nationale.Â
Les opportunitĂ©s environnementales Ă relocaliser sont Ă©galement nombreuses. Parmi celles-ci, notons : la rĂ©duction des gaz Ă effets de serre gĂ©nĂ©rĂ©s par les importations et l’opportunitĂ© d’avoir recours Ă des circuits courts. Ainsi, l’économie circulaire, est une Ă©conomie qui met sur le marchĂ© des produits sains, recyclables et qui peuvent ĂŞtre retournĂ©s dans des cycles de production. C’est une opportunitĂ© de rĂ©ponse Ă notre besoin de matières premières locales ; en allant vers un usage diffĂ©rent de la matière, la France rĂ©duirait sa dĂ©pendance et son empreinte Ă©cologique.Â
Enfin, les opportunitĂ©s gĂ©opolitiques. Si rĂ©ajuster les balances commerciales et rĂ©tablir un Ă©quilibre entre les pays tels que la France et la Chine est une des externalitĂ©s de la relocalisation, faire redĂ©couvrir au monde la valeur de ses territoires, en permettant Ă chaque pays de tirer profit de ses ressources, est Ă©galement un attendu. Â
Limites de la relocalisationÂ
La dĂ©localisation a permis Ă des millions de personnes de sortir de la pauvretĂ©, et la question des emplois crĂ©Ă©s dans les pays ateliers se pose : qu’adviendront-ils si nos entreprises s’installent de nouveau en France ? Quelles Ă©conomies de substitution pensons-nous pour des pays qui vivent intĂ©gralement de l’export de production que nous souhaitons relocaliser ? De plus, il est impossible de s’affranchir de la gĂ©ographie des ressources et nous ne pourrons retrouver une souverainetĂ© dans toutes les industries.Â
Également, la complexitĂ© et le temps long nĂ©cessaire Ă la relocalisation d’industrie, dont les filières entières ont disparu en France comme c’est le cas de la filière de la laine (voir le projet Tricolor). Les dĂ©fis de la relocalisation restent Ă ce jour d’une haute complexitĂ© pour les territoires. “La relocalisation nĂ©cessaire des emplois en France implique d’avoir les moyens de travailler avec des savoir-faire et des matières, qui aujourd’hui viennent de pays Ă©trangers” souligne Christine Guinebretière, co-fondatrice d’Upcyclea et laurĂ©ate de RĂ©seau Entreprendre Paris.Â
L’impact Ă©cologique de la relocalisation est Ă mesurer. En effet, en externalisant la production dans les pays ateliers, nous externalisons Ă©galement les effets sur la biodiversitĂ© et les dĂ©chets liĂ©s Ă celle-ci. La relocalisation doit ĂŞtre verte et se baser sur la rĂ©silience des territoires, afin de dĂ©velopper une Ă©cologie industrielle. A ce titre-lĂ , les entrepreneurs et petites unitĂ©s de production sont des facilitateurs pour des grosses entitĂ©s qui souhaitent relocaliser une partie de leur activitĂ©. Faire accepter au consommateur la juste rĂ©munĂ©ration des producteurs reprĂ©sente un rĂ©el enjeu aujourd’hui. Une dĂ©–corrĂ©lation entre l’intention des consommateurs Ă mieux consommer et la rĂ©alitĂ©, guidĂ©e par le prix d’achat, est constatĂ©e. Un travail d’éducation des consommateurs est Ă prĂ©voir pour accompagner les relocalisations.Â
Pour finir, le think tank La Fabrique de l’Industrie souligne enfin que l’indĂ©pendance stratĂ©gique peut s’obtenir sans relocaliser toute une industrie, grâce Ă l’adaptabilitĂ© des chaines de production ; en faisant preuve d’agilitĂ© et en utilisant la flexibilitĂ© des usines pour produire en urgence les appareils et machines nĂ©cessaires, mĂŞme si ces usines fabriquent d’autres produits en temps normal. C’est le cas aujourd’hui des producteurs de parfum adaptant leurs usines pour fabriquer du gel hydroalcoolique mais aussi de nombreuses entreprises dans diffĂ©rents secteurs. A titre d’exemple, l’entreprise Balzac Paris, marque de prĂŞt-Ă -porter et laurĂ©ate de RĂ©seau Entreprendre Paris, utilise Ă©galement l’adaptabilitĂ© des chaines de production de ses fournisseurs pour garantir une production raisonnĂ©e (quantitĂ© limitĂ©e) de ses produits.Â
Soutenir la relocalisation
Plusieurs leviers permettraient de favoriser la relocalisation d’une partie ou de l’intĂ©gralitĂ© d’industries stratĂ©giques pour le pays. D’après le think tank Utopies, « la « ville fabricante » ne pourra se dĂ©velopper sans un changement de culture et de modèle industriel, allant de l’Etat aux territoires, en passant par un renouvellement des pratiques de partenariat public-privé ». Les rĂ©flexions Ă mener sont globales et embarquent des collaborations nouvelles entre diffĂ©rents acteurs. Les achats publics se doivent d’être au cĹ“ur de cette transformation en influençant les approvisionnements, critères de livraison, etc. En parallèle, la nĂ©cessitĂ© de dĂ©velopper chez les entreprises la culture du circuit local, pour acheter de manière plus responsable doit Ă©merger. Le troisième levier de la relocalisation est le consommateur, qui a un vĂ©ritable pouvoir d’influence par ses achats : 58% des français envisagent ainsi de consommer plus local Ă la sortie de la crise. Enfin, mettre en place une vĂ©ritable logique d’économie circulaire et de recourt aux circuits courts semble clé ; il est nĂ©cessaire d’inventer des modèles favorisant les circuits courts, de rapprocher les centres de production des centres de consommation, en favorisant les petites unitĂ©s de production. L’économie circulaire reprĂ©sente l’opportunitĂ© pour de nombreuses industries de commencer Ă se passer de matières premières importĂ©es pour utiliser de plus en plus de matières recyclĂ©es. Â
La crise du Coronavirus accĂ©lère la prise de conscience de notre dĂ©pendance Ă des entreprises lointaines, qui viennent entraver la possibilitĂ© de protĂ©ger et soigner les citoyens français. Si la relocalisation partielle ou totale de certaines industries est nĂ©cessaire, une autarcie Ă©conomique ne semble pour autant pas une solution viable sur le long terme ; l’internationalisation des politiques, ressources et chaĂ®nes de production semble ĂŞtre un Ă©lĂ©ment clĂ© pour faire face Ă des crises similaires Ă celle que nous traversons.Â