Franck Vasseur – J’ai enterré mon accompagnateur du réseau

Franck Vasseur a repris en 2010 L’Autre Rive, une société de pompes funèbres. Un binôme s’est tout de suite formé avec son accompagnateur du réseau, Dominique Terrien…

Au premier coup d’oeil, la devanture de L’Autre Rive ressemble à une agence de voyage. Le bleu azur de la façade évoque des océans lointains, le bateau en maquette qui trône dans la vitrine des rivages inexplorés, les vases en céramique sur les étagères les souvenirs d’une contrée reculée. Sauf que ces récipients sont en réalité des urnes funéraires et les voyages que propose l’agence des allers simples vers l’au-delà. L’Autre Rive est une entreprise de pompes funèbres. « On a voulu casser les codes », explique son patron Franck Vasseur, 45 ans. Il suffit de jeter un oeil dans les boutiques concurrentes de la rue du faubourg Saint-Jacques (Paris 14e), à deux pas de la morgue de l’hôpital de Port-Royal, pour s’en convaincre. Là où les blocs de marbre de Roc-Eclair et les fleurs en plastique de PFG donnent une impression austère et impersonnelle, son établissement dégage une sensation de paix et d’intimité.

Je pense qu’ils se sont bien trouvés : Dominique avait un côté vieille école. Il n’était pas fait pour accompagner des entrepreneurs de la tech mais des projets plus traditionnels comme celui de Franck.

Hugues Franc, premier directeur de Réseau Entreprendre Paris

Franck Vasseur est devenu le patron de L’Autre Rive au début des années 2010, un peu par hasard. Alors âgé de 35 ans et commercial dans l’édition de logiciel, il profite d’un licenciement économique pour essayer de devenir son propre patron. Mais ce fils de gros agriculteurs seine-et-marnais ne se sent pas de créer son entreprise en partant de zéro. C’est en furetant dans les registres du Tribunal de Commerce de Paris qu’il tombe sur une annonce pour reprendre une société funéraire. Un changement de voie radical, même si ce diplômé d’école de commerce avait déjà effectué un stage de quelques semaines dans une entreprise de pompes funèbres lors de ses études.

« J’avais choisi ce secteur surtout par provocation vis-à-vis de mes parents, se souvient-il, le regard malicieux. Ils avaient payé mes études et ils s’attendaient à ce que j’atterrisse au marketing chez Danone. Le funéraire, ça les a refroidis ! » L’Autre Rive séduit Franck et son esprit franc-tireur. Fondé en 2001 par Raphaël Confino, l’établissement se distingue en proposant déjà des cérémonies qui sortent de l’ordinaire. Parmi elles, la possibilité de faire transporter son cercueil par des chevaux ou encore de disperser ses cendres… en orbite ! En effet, L’Autre Rive a noué un partenariat avec une société américaine spécialisée dans ce service, elle-même en lien avec la NASA. « Mais, depuis la création, ce n’est arrivé que deux fois », minimise Franck Vasseur, soucieux de ne pas passer pour un hurluberlu.

« On était là pour bosser »

La reprise n’est pas qu’une partie de plaisir. Franck a beau contrôler ses émotions, il n’est pas loin de tout plaquer au lendemain de sa première visite à la morgue. « Le légiste m’a un peu bizuté, raconte-t-il, la mine grave. Il ouvrait les chambres les unes après les autres pour me montrer tous les cadavres. Il y avait un bébé en sale état. Là, je me suis dit : « Putain, dans quoi tu t’es embarqué ». »

Franck n’a pas non plus d’expérience en tant que patron de PME. Alors il tente sa chance auprès de Réseau Entreprendre Paris. Bien lui en a pris puisqu’il intègre la promotion 2010. En plus d’un prêt à taux zéro de 30.000 euros, il fait la rencontre de Dominique Terrien, son parrain, chargé de l’accompagner. Le courant passe tout de suite entre les deux hommes. Franck Vasseur et sa reprise d’entreprise de pompes funèbres détonnent au milieu des start-uppers prêts à croquer le monde. Dominique Terrien aussi. Doyen des mentors à 79 ans, il met un point d’honneur à effectuer un dernier accompagnement pour Réseau Entreprendre Paris.

Pendant plus de trois ans, l’ancien patron qui a fait fortune dans le secteur du chauffage ne manque pas un rendez-vous avec son poulain. Des entretiens d’une heure tous les mois, où l’ambiance est studieuse. Trop parfois. « Il ne prenait pas de café, ni même un verre d’eau ! témoigne Franck Vasseur. On était là pour bosser. » C’est que Dominique croit dur comme fer au projet, à tel point qu’il sort de son rôle d’accompagnateur. « Il harcelait tous ses copains pour qu’ils prennent un contrat obsèques chez nous, se poile Franck. Il les relançait même par courrier ! » Jusqu’au jour où lui-même franchit le pas. « Il a sorti sa meilleure bouteille de blanc et on s’est mis à discuter de ce qu’il voulait pour son enterrement. Il n’avait pas peur de l’au-delà. »

« Je relativise les faits de la vie »

Côté business, L’Autre Rive trouve rapidement son rythme. En 2012, deux ans à peine après avoir repris l’entreprise, Franck Vasseur inaugure une deuxième agence, dans le 15e arrondissement à Paris. Puis en 2015, une troisième ouvre à Lyon, cette fois en tant que franchisée. L’entreprise génère aujourd’hui un chiffre d’affaires annuel de 1,2 million d’euros. Parmi les accompagnements qu’ils proposent, des bières en carton, sable ou sel, afin que les cercueils retournent aussi à la poussière. « Les gens cherchent des symboles, pas des porteurs », commente Franck. L’homme s’est transformé depuis qu’il a endossé cette nouvelle carrière. « Je relativise complètement les faits de vie, témoigne-t-il. Ma femme me le répète suffisamment souvent : « Depuis que tu fais ce métier, plus rien n’est grave pour toi. » Plus rien de grave pour lui ? Pas du tout à fait. Le métier de conseiller funéraire exige une déférence irréprochable, même dans les situations les plus improbables. Cela peut-être un cercueil qui s’ouvre en pleine procession ou trois femmes, se revendiquant toutes épouse du défunt, qui prennent un rendez-vous à son agence. « Nous sommes le scanner de la société », philosophe Franck.

Le 16 novembre 2018, il s’occupait de l’enterrement de son accompagnateur Dominique Terrien, emporté par un cancer à l’âge de 87 ans. Pour ses funérailles, une chorale et un orchestre classique lui ont rendu un dernier hommage à la paroisse Saint-François Xavier.

Texte : Robin d’Angelo

Extrait du Magazine Made In Réseau Entreprendre Paris, édité à l’occasion de 15 ans de Réseau Entreprendre Paris.

Made in Réseau Entreprendre Paris est un magazine fièrement édité par Réseau Entreprendre Paris – Directeurs de la publication : Cyrille Saint Olive et Colombine de Chantérac – Édition déléguée : StreetPress – bonjour@streetpress.com – Édition et coordination : Johan Weisz-Myara, Célia Mebroukine – Journalistes et contributeurs : Célia Mebroukine, Robin d’Angelo, Pierre Bernat, Pierre-Henri Caquelin, Cyrille Saint Olive, Armelle Weisman, Camille Caubrière, Alizée Doumerc – Photographe : Yann Castanier – Illustrateurs : Simon Bournel Bosson, Agathe Bruguière – Direction artistique : Kiblind Agence – Imprimeur : Musumeci S.p.A. Loc. Amerique 97 11020 Quart (AO) – Italie.