Depuis son arrivée à la Présidence de Réseau Entreprendre Paris en 2019, Armelle Weisman a souhaité déployer un nouveau projet stratégique avec l’aide du Conseil d’Administration et de l’équipe. Nous lui avons proposé de préciser ces ambitions, autour d’un café.

En 2019, tu as formulé le souhait pour Réseau Entreprendre Paris de fédérer des entrepreneurs « conscients, exigeants, humanistes et performants ». Peux-tu préciser ces termes ?

Pour moi, ces quatre mots sont importants. On pourrait penser que ce sont des mots creux, juste placardés sur une affiche, mais en réalité, si on les soupèse bien, chaque mot amène un dilemme. Il n’y a rien d’évident. Et c’est cette complexité qui fait que ces mots deviennent des valeurs, c’est-à-dire des bases à partir desquelles faire des choix, vivants, à chaque instant.

D’abord l’entrepreneuriat « conscient ». L’idée, c’est de penser le rôle de l’entrepreneur dans un tissu de parties prenantes, en insistant sur le fait que l’entrepreneur n’est pas le seul producteur de sens, de lien, de valeur de son entreprise. Bien sûr, c’est lui qui tient la barre, qui impulse, qui opte pour une proposition de valeur spécifique (commerciale, stratégique, managériale, etc.). Mais son action, in fine, dépend de beaucoup d’autres acteurs. Il ne faut pas être dupe d’une forme de « toute puissance » de l’entrepreneur ! Le dilemme repose sur le fait qu’on peut tout aussi bien agir sans s’en soucier. Ça va plus vite, c’est plus pratique, plus confortable aussi. Mais être conscient de cette complexité, c’est donner une autre dimension à l’entrepreneur. Et, je le crois, plus de pérennité et de sérénité au développement de son entreprise. Mais ça coûte en temps, en énergie, en investissement…

L’entrepreneuriat, c’est une histoire de lien avec l’autre

L’« exigence » des entrepreneurs est double. Une exigence par rapport à soi-même : l’entrepreneur doit se questionner, se réinventer, aller plus loin, se dépasser, beaucoup travailler. On n’est pas entrepreneur si on a pas cette exigence vis-à-vis de soi-même. Ensuite, une exigence vis-à-vis des autres. Cette exigence, il faut savoir l’exercer. Accepter l’erreur, la sienne d’abord, celle des autres aussi. Il faut savoir l’exprimer aussi et parfois prendre le risque de déplaire, de briser des consensus, de bousculer. Et cela sans détruire, en donnant des pistes. C’est exactement cette exigence que l’on retrouve au Réseau, dans l’accompagnement, les comités d’ engagement. Et c’est cette exigence des pairs qui nous fait grandir aussi. Mais c’est un savant dosage, qui demande de savoir prendre le temps d’observer, d’accompagner. S’il n’y avait pas ce degré d’exigence dans le Réseau, je ne pense pas qu’il serait celui qu’il est aujourd’hui.

Ensuite, l’entrepreneur « humaniste ». Pour moi, c’est au cœur même du projet initial de Réseau Entreprendre : l’entrepreneuriat, c’est une histoire de lien avec l’autre. Si tu ne démarres pas en t’intéressant aux gens avec qui tu travailles, dans un vrai souci de la relation, alors il vaut mieux ne pas être entrepreneur. Sinon tu seras toujours malheureux. C’est une histoire d’hommes et de femmes avant d’être une histoire d’argent, de juridique ou d’énergie déployée. C’est une histoire de confiance, avec un associé, un salarié, un fournisseur, un banquier… La part des individus, de la rencontre est beaucoup plus importante que tout ce qu’on peut en dire. L’histoire n’est jamais écrite à l’avance, c’est ce qui va se jouer dans les liens entre des êtres qui peut déterminer beaucoup de choses. Créer son entreprise, c’est un humanisme extrêmement puissant, à la fois dans le rapport aux autres mais aussi dans le rapport à soi-même.

Beaucoup de gens peuvent être exigeants, humanistes. L’entrepreneur, lui, a, en plus, une capacité d’action, d’aller au bout des choses.

Et la performance ? Qu’est-ce que cela signifie, en 2020, être un entrepreneur « performant » ?

Au départ, la performance, c’est le fait de produire quelque chose. Ce n’est pas être le meilleur ou le plus fort, c’est de faire les choses jusqu’au bout. L’entrepreneur, ce n’est pas un intellectuel ou un penseur, c’est quelqu’un qui crée quelque chose et dont on attend des résultats. C’est la vraie différence : beaucoup de gens peuvent être exigeants, humanistes. L’entrepreneur, lui, a, en plus, un devoir de délivrer, d’agir concrètement, d’aller au bout des choses. Et la première performance, c’est de trouver des clients, de creuser un marché, de pérenniser une activité, de rémunérer ses collaborateurs

Ceci dit, il faut faire attention de ne pas séparer la performance des trois autres valeurs. Elles prennent leur sens ensemble. Si tu es conscient, humaniste, exigeant mais sans performance, alors tu es juste plein de bonnes idées sans résultat réel. Si tu es performant, sans être conscient des autres qui contribuent au sens de ton entreprise, tu crées des résultats, sans réelle valeur ajoutée autour de toi. Les quatre valeurs sont donc très importantes, mais la performance leur donne tout leur sens.

Si tu es conscient, humaniste, exigeant mais sans performance, alors tu es juste plein de bonnes idées sans résultat réel

Le plan stratégique du Réseau a été pensé à quelques mois avant la crise sanitaire. Est-ce-que tu penses que le Covid représente un frein ou un accélérateur pour ce projet de transformation ?

Les deux. Mais je ne dirais pas un accélérateur… c’est plutôt un catalyseur. C’est-à-dire que les termes de la feuille de route, qui pouvaient sembler “plats” ou évidents, pour un observateur extérieur habitué à lire des feuilles de route stratégiques, ont trouvé une acuité énorme avec l’actualité. Et notre capacité à les mettre en œuvre, leur donner vie, a permis de faire prendre conscience que chaque axe avait son utilité et le projet stratégique est devenu la réalité quotidienne du Réseau. On n’a pas juste dit, on a fait ! Et du coup, ce qui est génial, c’est que la réalité projetée est devenue petit à petit une réalité perçue par un grand nombre.

En même temps, ça a été bien sûr un frein car le surplus d’énergie qu’on a mis pour répondre aux urgences, on ne l’a pas mis dans le développement de l’ambition et de la croissance de l’association. On voulait étendre notre pouvoir d’action. Disons qu’on s’est orienté vers plus de qualitatif au détriment du quantitatif. Et puis il y a des sujets qu’on n’avait pas identifiés comme l’accompagnement aux nouveaux modes de travail, qui sont arrivés au premier plan. Et c’est le rôle des crises de faire émerger des sujets qui jusqu’ici étaient plutôt dans l’ombre. Si on me demandait, aujourd’hui, de réécrire une feuille de route stratégique en sachant ce qui allait nous tomber dessus, je ne changerais pas un mot à ce qu’on a mis en place. Mais si cela a pu aussi bien prendre forme c’est d’abord grâce à l’équipe qui s’est démenée sur le front et avec laquelle nous avions co-écrit cette feuille de route.

Qu’est-ce-que cela a changé pour toi d’être présidente ?

J’ai été lauréate, puis membre, puis accompagnatrice… Je connaissais déjà bien le Réseau ! Ou plutôt, je pensais le connaître ! J’ai découvert que le Réseau c’est aussi une entreprise. Une entreprise sociale avec une gouvernance, imbriquée dans une fédération d’acteurs, à plusieurs niveaux, avec des enjeux, des choix stratégiques. J’ai découvert le lien avec les acteurs de l’emploi sur le territoire.

J’ai aussi pu découvrir l’équipe des salariés en développant des liens réguliers et en créant un vrai binôme avec son directeur. Et puis, le Conseil d’administration, c’est un challenge aussi : fédérer des entrepreneurs que j’admire, les impliquer dans le Réseau, leur donner une juste place.

Et enfin, m’inscrire dans une lignée. Le Réseau a existé avant moi et existera après moi. Je suis un maillon de la chaîne et je souhaite réussir à l’amener à bon port pour le prochain ou la prochaine qui prendra le relais. Bon, je suis pas mécontente d’en être la première femme présidente ! Même si de ce côté là, on a encore un peu de chemin à faire…

Quels ont été les bons moments en tant que Présidente jusqu’ici ?

Plein ! Je retiens l’état d’esprit de la passation avec Éric. Mais aussi le déménagement l’été dernier. J’adore les remises de Prêts d’Honneur. C’est toujours super intéressant de rencontrer les lauréats et c’est le moment où ils témoignent de l’apport du Réseau à leurs côtés : c’est quand même super agréable. La fierté générale, qui me rend particulièrement heureuse, c’est de voir que le projet, tel qu’on l’a pensé, se réalise progressivement. Le rôle de Réseau Entreprendre est plus perçu qu’avant, à la fois par les équipes, les lauréats et les membres. C’est de ressentir à chaque présence et à chaque événement du Réseau son unicité, sa capacité : on ne fait ni du préfabriqué, ni de l’industriel. Et on a une capacité d’accompagnement unique !

Extrait du Magazine Made In Réseau Entreprendre Paris, édité à l’occasion de 16 ans de l’association.

Made in Réseau Entreprendre Paris est un magazine fièrement édité par Réseau Entreprendre Paris – Directeurs de la publication : Colombine de Chantérac & Maxime de Couëssin – Édition déléguée : StreetPress – bonjour@streetpress.com – Édition et coordination : Johan Weisz-Myara – Journalistes et contributeurs : Colombine de Chantérac, Lucas Chedeville, Maxime de Couëssin, Ludovic Girodon, Pauline Larroque, Mathilde Manya, Armelle Weisman, Léopold Wolfrom – Photographe : Yann Castanier – Illustration et Direction artistique : Kiblind Agence – Imprimeur : ARCOS-IRIS – 46 rue de la République, 93100 Montreuil